lundi 18 avril 2016

Rancho Luna

Je me suis senti cubain ce matin en savonnant avec application notre dernier sac plastique, pour en décoller les résidus de bananes en prenant bien garde de ne pas le trouer, avant de l’étendre au soleil. Le sac plastique, en effet, est un objet précieux à Cuba. Le seul endroit où on est à peu près sûr d’en voir c’est sur les fils à linge, entre les caleçons et les chemises. Il n’y en a ni dans les échoppes, ni dans les supermarchés, ni, du coup, dans la mer.

Cette rareté est d’autant plus appréciable que les canettes et les verres en plastique, qui eux se trouvent facilement sur l’île, sont sous l’eau plus nombreux que les poissons. A Cuba, lorsqu’on a terminé l’apéro - que l’on prend assis dans la mer à quelques mètres du rivage - on ne fait pas même le geste de jeter son verre ou sa canette derrière son épaule. On ouvre simplement la main, on laisse le vent et le courant faire le reste. Croît-on que le monde infini viendra sans difficulté à bout de tous ces déchets ? Peut-être bien, mais peut-être aussi que l’on y trouve une forme d’agrément. Peut-être que le pécheur de langouste, qui part chaque matin à la nage vers la barrière de corail avec son masque et son tuba, s’arrête quelques instants en chemin pour admirer la danse régulière des canettes blanchies roulées par le ressac. D’ailleurs, les nettoyeurs de plage, armés d’un long pic, se jettent avec dégoût sur les feuilles mortes de palétuvier mais ne touchent pas aux canettes.

Ce n’est certes pas par manque de savoir-vivre. Impossible en effet de porter une telle accusation à ce peuple une fois qu’on l’a vu organiser ses pique-niques et ses sorties champêtres. Lors d’une de mes parties de pêche infructueuse, à l’embouchure d’une petite rivière, j’ai vu surgir des brumes de chaleur une procession bruyante et colorée. D’abord des voitures – celles qu’on trouve à Cuba : des Chevrolets et des Buicks des années 50, vertes roses et turquoises – qui ont affronté le sable jusqu’à s’enliser à hauteur de porte. Ensuite des charrettes tirées par des chevaux et des ânes, et enfin des gens à pied qui portaient à plusieurs un gigantesque gâteau rectangulaire dont la chantilly et les décorations semblaient mûrir au soleil comme des fruits tropicaux. Un anniversaire, m’a-t-on expliqué. Les invités ont dressé des abris de palmes, tendu des bâches entre les charrettes et allumé de grands feux pour préparer le plat de résistance : crabes bouillis et friture capturée à l’épervier. Ils m’ont ensuite encouragé avec ferveur à attraper un gros poisson mais je n’ai réussi qu’à effrayer la friture en m’avançant trop loin dans l’eau.

A leur départ – le lendemain matin - la petite langue de sable dont le sourire dessine l’embouchure scintillait de quelques bouteilles de rhum. La prochaine grosse marrée lui rendra sa pureté virginale et étoffera un peu la guirlande de déchets qui annonce la barrière de corail.

Outre les sacs plastiques, sont également absents de Cuba les publicités et les mendiants. Même les promenades touristiques, qui dans n’importe quel autre pays du monde seraient quadrillées par une armée de morts-vivants édentés qui tendraient en tremblotant leur chapeau miteux, en sont dépourvus – grâce aux tickets de rationnement et aux petits boulots. Quant à l’absence de pubs – sur les routes, sur les bus, sur les murs des villes et des villages – c’est un émerveillement chaque jour renouvelé. Émerveillement qui en appelle un autre : en faisant ses courses au supermarché, on ne perd pas des plombes à choisir sa sauce pour les pâtes :


Shopping à Cuba


Plus d’huile ?






Et dehors, au marché, ce ne sont que fruits et légumes de saison, provenant des potagers urbains et suburbains des environs, souvent bios. Après, il paraît que tout n’est pas tout rose, mais pour le touriste au regard superficiel, c’est bien reposant. 



2 commentaires:

  1. que tout ça est joliment tourné...
    j'espère que le sacs plastique sont sans BPA, parce qu'à force de les faire sécher au soleil...
    Sinon, pour ceux qui veulent voir un pays caribéen sans déchets et sans jeteurs : y a la Dominique, bien plus bas! mais je crains que les rites des derniers amérindiens t'y déçoivent (si tu nourrissais quelque espérance)

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    1. Merci! Ma copine (qui est arrivée en bateau de France) a adoré la Dominique et il a été un moment question qu'on y aille, mais a priori ce sera pour une autre fois.

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