Je me suis senti cubain ce matin
en savonnant avec application notre dernier sac plastique, pour en décoller les
résidus de bananes en prenant bien garde de ne pas le trouer, avant de l’étendre
au soleil. Le sac plastique, en effet, est un objet précieux à Cuba. Le seul
endroit où on est à peu près sûr d’en voir c’est sur les fils à linge, entre
les caleçons et les chemises. Il n’y en a ni dans les échoppes, ni dans les
supermarchés, ni, du coup, dans la mer.
Cette rareté est d’autant plus
appréciable que les canettes et les verres en plastique, qui eux se trouvent
facilement sur l’île, sont sous l’eau plus nombreux que les poissons. A Cuba,
lorsqu’on a terminé l’apéro - que l’on prend assis dans la mer à quelques
mètres du rivage - on ne fait pas même le geste de jeter son verre ou sa
canette derrière son épaule. On ouvre simplement la main, on laisse le vent et
le courant faire le reste. Croît-on que le monde infini viendra sans difficulté
à bout de tous ces déchets ? Peut-être bien, mais peut-être aussi que l’on
y trouve une forme d’agrément. Peut-être que le pécheur de langouste, qui part
chaque matin à la nage vers la barrière de corail avec son masque et son tuba, s’arrête
quelques instants en chemin pour admirer la danse régulière des canettes
blanchies roulées par le ressac. D’ailleurs, les nettoyeurs de plage, armés
d’un long pic, se jettent avec dégoût sur les feuilles mortes de palétuvier
mais ne touchent pas aux canettes.
Ce n’est certes pas par manque de
savoir-vivre. Impossible en effet de porter une telle accusation à ce peuple une
fois qu’on l’a vu organiser ses pique-niques et ses sorties champêtres. Lors
d’une de mes parties de pêche infructueuse, à l’embouchure d’une petite
rivière, j’ai vu surgir des brumes de chaleur une procession bruyante et
colorée. D’abord des voitures – celles qu’on trouve à Cuba : des
Chevrolets et des Buicks des années 50, vertes roses et turquoises – qui ont
affronté le sable jusqu’à s’enliser à hauteur de porte. Ensuite des charrettes tirées
par des chevaux et des ânes, et enfin des gens à pied qui portaient à plusieurs
un gigantesque gâteau rectangulaire dont la chantilly et les décorations
semblaient mûrir au soleil comme des fruits tropicaux. Un anniversaire,
m’a-t-on expliqué. Les invités ont dressé des abris de palmes, tendu des bâches
entre les charrettes et allumé de grands feux pour préparer le plat de
résistance : crabes bouillis et friture capturée à l’épervier. Ils m’ont ensuite
encouragé avec ferveur à attraper un gros poisson mais je n’ai réussi qu’à
effrayer la friture en m’avançant trop loin dans l’eau.
A leur départ – le lendemain
matin - la petite langue de sable dont le sourire dessine l’embouchure
scintillait de quelques bouteilles de rhum. La prochaine grosse marrée lui
rendra sa pureté virginale et étoffera un peu la guirlande de déchets qui
annonce la barrière de corail.
Outre les sacs plastiques, sont
également absents de Cuba les publicités et les mendiants. Même les promenades
touristiques, qui dans n’importe quel autre pays du monde seraient quadrillées
par une armée de morts-vivants édentés qui tendraient en tremblotant leur
chapeau miteux, en sont dépourvus – grâce aux tickets de rationnement et aux
petits boulots. Quant à l’absence de pubs – sur les routes, sur les bus, sur
les murs des villes et des villages – c’est un émerveillement chaque jour
renouvelé. Émerveillement qui en appelle un autre : en faisant ses courses
au supermarché, on ne perd pas des plombes à choisir sa sauce pour les
pâtes :
Plus d’huile ?
Et dehors, au marché, ce ne sont
que fruits et légumes de saison, provenant des potagers urbains et suburbains des
environs, souvent bios. Après, il paraît que tout n’est pas tout rose, mais
pour le touriste au regard superficiel, c’est bien reposant.
que tout ça est joliment tourné...
RépondreSupprimerj'espère que le sacs plastique sont sans BPA, parce qu'à force de les faire sécher au soleil...
Sinon, pour ceux qui veulent voir un pays caribéen sans déchets et sans jeteurs : y a la Dominique, bien plus bas! mais je crains que les rites des derniers amérindiens t'y déçoivent (si tu nourrissais quelque espérance)
Merci! Ma copine (qui est arrivée en bateau de France) a adoré la Dominique et il a été un moment question qu'on y aille, mais a priori ce sera pour une autre fois.
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