Après l’émission, heureusement
courte, je file au centre de santé le plus proche. Une doctoresse regarde mon nez et déclare que cette
croutinette lui paraît bien inoffensive pour être de la leishmaniose, tout en
reconnaissant ne pas y connaître grand-chose car « la leishmaniose est une
maladie tropicale ». Le centre de Quito a été construit en copiant avec
tant d’application les grandes villes américaines que ses habitants ont réussi
à se convaincre que les tropiques et toutes les saletés qui y grouillent se
trouvaient bien loin de chez eux. Si je tiens à être rassuré, je peux toujours
aller faire des analyses à l’hôpital, me dit-elle.
Après quelques heures d’attente,
un médecin me reçoit et m’explique qu’ils ne sont pas habilités à faire ce genre
d’analyse car ils n’ont pas de service des maladies tropicales. Ils ne voient
pas trop où on pourrait m’aider, peut-être au centre de dermatologie.
La doctoresse qui m’accueille
m’annonce qu’on m’a mal informé : c’est bien l’hôpital qui doit faire ces analyses ;
elle me conseille d’y retourner et, s’ils refusent à nouveau, de demander une
lettre officielle de justification – mais, soit dit en passant, cette petite
croute n’a pas l’air bien méchante.
Le soir étant venu, je rentre
plutôt à la maison et appelle au secours un ami français sur qui il faudra un
jour que je fasse un post. Il m’obtient dès le lendemain matin un rendez-vous à
la faculté de médecine avec le spécialiste national de la leishmaniose.
Celui-ci m’ausculte attentivement et diagnostique avec un sourire chaleureux un
début probable de leishmaniose, puis fait les prélèvements nécessaires aux
examens. Heureusement, il m’apprend aussi qu’il existe un traitement sans
métaux lourds, la « miltéfosine »… mais pas en Equateur. On doit
pouvoir le trouver en Colombie, car les militaires, rongés de leishmaniose, en
font grand usage ; mais même là-bas, il est très contrôlé et difficile à
obtenir car convoité aussi par les FARCs. Et en France ? Peut-être… mais
aux dernière nouvelles le laboratoire qui synthétise la molécule se faisait plaisir
et la boîte de miltéfosine coutait 3000 euros. Sinon, parfois, la leishmaniose
peut se soigner seulement avec de la chaleur, en remplissant un gant mapa d’eau
brûlante et en l’appliquant sur la plaie, tant que c’est supportable. Je dois
cependant attendre les résultats, car si l’infection est bactérienne la chaleur
risque d’empirer les choses.
Le lendemain, les résultats sont
négatifs et la lésion semble s’être légèrement résorbée. Léger, je reprends là
où je l’avais laissée l’organisation de mon prochain voyage chez les Achuar.
Pour ne pas attirer le mauvais œil, je ne pousse pas les préparatifs trop loin et
me contente d’acheter des fruits secs au supermarché. Précaution visiblement
insuffisante, car le jour suivant la lésion s’est ouverte et creusée. Je
rappelle le spécialiste qui ne peut pas me recevoir avant quatre jours.
Journées pénibles, que je passe à
contempler l’évolution de ma plaie devant la glace et à essayer de dessiner des
oiseaux qui, du coup, ont tous l’air un peu angoissé. Une buse des Galapagos,
que je n’ai jamais vue mais qu’on m’a commandée, et un toucanet à croupion
rouge, qui vient de Milpe comme ma leishmaniose :
J’ai même dessiné des
tourterelles oreillardes dans un parc de Quito… on s’occupe l’esprit comme on
peut :
Je revois le spécialiste, qui
refait des analyses, qui cette fois sont positives. Au moins, je peux agir ;
je commence par le gant mapa plein d’eau brûlante…
… puis je bombarde de mails les
centres de recherche colombiens pour essayer de trouver le traitement. Une
gentille doctoresse de Cali me répond que la miltéfosine est presque
introuvable en ce moment, mais qu’il lui en reste quelques boîtes dans son
laboratoire de Tumaco, une ville côtière proche de la frontière équatorienne,
où elle se rend justement l’après-midi même. Je saute dans un bus et après 24
heures, quelques changements et une nuit à la frontière, j’arrive à Tumaco.
Donc, si vous attrapez la
leishmaniose, vous saurez qu’il faut faire plusieurs applications par jours pendant
un mois avec une eau modérément chaude, et non essayer de la brûler en une
fois ; ou alors il faut y aller franchement, avec une pointe de machette
chauffée dans les braises ou de l’acide de batterie.
La doctoresse fait de nouveaux
prélèvements pour ses recherches et me donne ma boîte de miltéfosine. Le soir,
pour la remercier d’avoir sauvé mon nez, je l’invite à manger des langoustines
au lait de coco sur la plage. Elle m’explique que le traitement est aussi rare
car la leishmaniose est une maladie de pauvres peu rentable ; il y a tout
un stock de miltéfosine en ce moment au ministère de la santé, mais bloqué par
l’organisme qui règlemente la distribution des médicaments, car celui-ci est
lié au laboratoire qui synthétise la molécule. L’objectif est de créer le
manque avant de ressortir le médicament sous un autre nom et dix fois plus cher,
comme il l’ont fait récemment avec le traitement contre la toxoplasmose, tout
en s’opposant à la distribution par les centres de recherche, etc., etc. Ces
pratiques sont bien connues, mais quand on a failli y perdre son nez ça rend la
chose très réelle.
Me voici donc parti pour un mois
d’un traitement lourd, pendant lequel je ne peux pas boire une goutte d’alcool.
Je ne pourrai donc pas toucher à la bière de manioc chez les Achuar, ce qui
risque de leur fendre le cœur, mais bon, c’est un moindre mal.
Bon courage pour ton nez et pour la suite du voyage! Merci pour ces nouvelles dépaysantes (ça me ramène 20 ans en arrière des histoires de bouton sur le nez et Forza Juve). Jo
RépondreSupprimerMerci Jocelyn. La juve n'est plus que l'ombre d'elle même et j'ai presque réussi à me soigner. De mon nez aussi. La plaie est refermée et je n'ai plus que quelques jours de miltéfosine.
Supprimerà bientôt
Oui, et en plus, pour éviter les ennuis, il faut avoir du pif ...
RépondreSupprimerLe toucanet de la second photo a l'air majestueux.
Merci!
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