D’après l’un des passages les
plus connus de L’Usage du monde de
Nicolas Bouvier, « on croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est
le voyage qui vous fait, ou vous défait ». Moi, plus que le voyage, ce
sont les parasites qui sont en train de me défaire.
Je ne les ai pas attrapés à
Napurak – où une source claire irrigue la communauté d’une eau parfaitement
pure – mais à Numbaïme. Là, l’eau est puisée dans une rivière qui vient de loin
et qui traverse en amont plusieurs autres communautés, tout aussi dépourvues de
toilette que Numbaïme. Je filtrais l’eau que je buvais, mais les femmes ne
prenaient pas cette précaution pour préparer la bière de manioc. Les analyses à
l’hôpital de Puyo ont révélées que j’étais colonisé par des blastocystis homini, un parasite
unicellulaire qui provoque des symptômes relativement bénins – fort
gargouillement et autres petits désagréments intestinaux, coups de fatigue, quelques
crampes. Rien de bien méchant en somme, sauf dans les rares cas de résistance
aux médicaments. Or, j’en suis à mon troisième type de traitement
antiparasitaire, et après chaque ingestion d’une pilule, je gargouille de plus
belle, comme si mes blastocystes éclataient de rire, ravis de voir arriver un
nouveau produit pour pimenter leurs orgies.
Mes parasites et moi venons de rejoindre
Chloé à Mompiche, un petit village de la côte équatorienne, dans la zone
touchée par le séisme. Chloé était sur place pour aider une ONG à reconstruire quelques maisons. Les
petits hôtels en bambous qui regardent l’horizon sont tristement vides, la
plupart des touristes étrangers ayant annulé leur voyage après le tremblement
de terre. Quant aux touristes équatoriens, ils préfèrent le all inclusive à quelques kilomètres de là,
où le forfait à prix unique leur donne un accès permanent et illimité à la
caïpirinha et au jet ski. Ils se concentrent sur une bande de sable d’une
centaine de mètres, encadrées par des maîtres-nageurs et des vigiles armés. De
part et d’autre s’étendent des kilomètres de plages à peu près désertes, fréquentées
seulement par quelques pêcheurs, les pélicans et les frégates qui les suivent.
Avant Mompiche, j’étais à Milpe,
des cabanes pour ornithologues dans la forêt tropicale, entre Quito et la côte.
C’est là qu’il y a presque deux ans je dessinai les premières pages de ma BD, Anent. Je suis revenu à Milpe par
superstition, en me disant que les lieux me souffleraient le début de ma
prochaine BD. Mais ça n’a pas fonctionné. Peut-être les blastocystis homini tarissent-ils l’imagination. Ou peut-être, pour
faire à nouveau référence Nicolas Bouvier, que la vie y était trop divertissante
pour pouvoir se concentrer. Difficile par exemple de se résoudre à s’enfermer,
à faire le vide en soi et à commencer à construire une histoire lorsqu’on peut
tomber sur ce genre d’araignée en sortant de sa cabane :
Et puis il y a les mangeoires à colibris
– des récipients remplis d’eau sucrée et percés de trous en forme de fleur, qui
bourdonnent de colibris de l’aube au crépuscule. Parfois, quand l’esprit
divague, on se croit en Provence au mois d’août, à côté d’un massif de lavande envahi
d’abeilles ; et puis on est ramené à la réalité par un minuscule et
scintillant colibri-coquette en train de butiner l’inscription rouge qui décore
votre tasse de café.
Il y a aussi les bananes que le
gardien des cabanes cloue chaque matin sur une longue branche horizontale, et
qui attirent des toucans, des araçaris et une nuée éblouissante de tangaras.
Lorsqu’il m’est arrivé de remplacer les bananes, les toucans et les tangaras
m’entouraient et me poursuivaient en criant, telles les mésanges charbonnières
de mes mangeoires de Bois-le-roi. Faute de réussir à écrire une BD, j’en ai
dessinés quelques-uns :
Voici sinon une grive tavelée et
un alapi d’Esmeraldas, deux nouvelles espèces pour moi :
Il y a enfin, dans la cabane d’à
côté, une équipe de chercheurs qui étudient les mœurs du manakin à ailes
dorées. Les mâles de cette espèce dansent ensemble au lieu de se battre ce qui,
d’un point de vue évolutif, n’a aucun sens. Je les accompagnais chaque jours à
l’aube déplier les filets dont ils avaient quadrillé le sous-bois. L’objectif
premier était de poser des bagues colorées aux pattes des manakins, mais nous
capturions aussi des dizaines d’autres espèces, dont certaines sont si
discrètes que rien n’aurait permis de deviner leur présence. Le chef des
chercheurs – un américain auréolé de publications dans les revues les plus
prestigieuse, et qui fait ce travail depuis au moins trente ans – semblait
chaque matin redécouvrir les oiseaux. Parfois il me bousculait sur les chemins
boueux, risquant son col du fémur, pour me doubler et avoir la joie
d’identifier le premier la petite boule de plumes palpitante qui venait de se
prendre dans les mailles d’un des filets.
Je retourne d’ici peu chez les
Achuar, à Napurak, a priori avec quelques touristes, pour essayer de trouver
des idées d’histoire et un traitement traditionnel contre les parasites.
Merci pour les dessins et les nouvelles !!
RépondreSupprimerLes manakins ont probablement décidé de dire tout simplement merde à Darwin et à son pragmatisme ennuyeux à mourir. Un peu comme les born-again américains, mais en plus joli.
Bisous. Lisa
Merci Lisa. Je vais soumettre ton hypothèse aux chercheurs de Milpe.
SupprimerJ'adore le dessins de l'araçari qui sautille, on reconnait bien ses petits bonds comiques.
RépondreSupprimerNapurak a l'air si bien mais si loin...
Il faut que tu lises muchachos de lepage, lui aussi a bien capté le mouvement et la lumière des forêts tropicales (bon, il est un peu baroque et l'histoires est un peu mièvre mais visuellement c'est beau).
(toujours pas reçu mon anent, mais je suis patient)
Merci! Pour Anent ça fait long non ? Ils doivent être en train de le lire à la douane.
SupprimerLes oiseaux sont magnifiquement dessinés. Ils sont vivants et leur oeil brille d'intelligence. Rien qu'à les regarder, on se sent connectés à eux. Bien plus vivants que l'araignée - biscornue - pourtant en photo. Et le récit chante aux oreilles autant que les colibris à côté des lavandes. Merci et bravo !
RépondreSupprimerMerci beaucoup!
SupprimerAdmirable! Sinon Bouvier for ever!
RépondreSupprimerMerci!
Supprimer