jeudi 23 juin 2016

Souvenirs de Limoncocha

Limoncocha est une charmante lagune amazonienne aux eaux vert sombre. L’une de ses extrémités est prolongée par un bras mort du rio Napo qui enroule ses méandres sur plus de cinq kilomètres, entre lianes et nénuphars. L’absence de courant permet à des rameurs peu expérimentés de s’y engager sans risque, tout en se donnant l’illusion d’évoluer sur une petite rivière en pleine Amazonie. Nous y avons passé des vacances heureuses avec Aurel, un ami d’enfance, il y a un certain nombre d’années – je ne sais plus exactement combien, mais le grain des photos suffit à montrer que ça n’est pas tout récent :


Limoncocha, Equateur, pêche au piranha

Nous dormions chez un indien tout au bout du bras mort où nous n’avions emporté que du riz blanc et des oignons. Le gros de nos repas, et leur diversité, venaient des trois espèces de piranhas que nous pêchions nonchalamment à longueur de journée, sous le regard du préhistorique hoazin, aussi commun à Limoncocha que le pigeon place Saint-Marc. Un balbuzard plongeait parfois si près de la pirogue que les éclaboussures nous réveillaient de nos siestes.

La nuit, des rainettes aux yeux rouges disproportionnés apparaissaient sur les nénuphars et emplissaient l’air de milliers de clochettes, tandis que toute la végétation en contact avec l’eau se couvrait de vers luisants. Leur scintillement, redoublé par celui des lucioles et des taupins luminescents, faisait dire aux locaux que « la nuit, Limoncocha c’est pareil que Manhattan ».
Nous avancions la pirogue dans les zones de forêts inondées, en nous aidant des lianes et des branchages, pour pêcher le nocturne wanchichi, dans quelques dizaines de centimètres d’eau. Pour nous procurer les petits poissons qui garnissaient nos hameçons, nous avions mis au point une technique originale : il fallait éblouir un caïman avec une torche et le percuter avec le nez de la pirogue ; sa fuite précipitée effrayait les petits poissons qui sautaient par grappes entières et atterrissaient parfois directement sur nos genoux. Lorsque nous nous immobilisions enfin, toutes les créatures qui nous avaient regardés arriver reprenaient leur invisible et bruyante activité. La chaleur et l’humidité, l’air absolument immobile, le concert des grenouilles et des grillons, les lucioles et les vers luisants comme unique et incertain repère visuel, les douces oscillations de la pirogue qui répercutait nos rares mouvements, tout nous donnait l’impression de flotter dans une sorte d’alambic primordial où nous allions bientôt nous dissoudre.

On racontait, dans la communauté indienne la plus proche, que la lagune ne s’arrêtait pas là où on le pensait. Derrière l’épais mur de végétation qui semblait la fermer, s’étendait, parait-il, Yanacocha, la lagune noire, mais son accès était si difficile que beaucoup la disait chimérique. Rêvant de pêche miraculeuse, nous avons plusieurs fois essayé de nous frayer un passage vers elle à grand coup de machette, déclenchant la fureur des insectes, mais les lentilles d’eau se refermaient sur nous et l’entrelacs de végétation semblait repousser à peine coupé, plus dense encore. Nous devions faire demi-tour après avoir parcouru à peine quelques mètres, la peau et l’imagination piquées au vif.

J’avais décidé de retourner à Limoncocha cette année, un peu par nostalgie, un peu pour essayer une nouvelle fois de forcer le passage vers Yanacocha. Alors que je me demandais quels leurres à piranhas emporter, j’appris que Limoncocha et les lagunes environnantes avaient été polluées par l’exploitation minière et qu’il n’y avait plus un poisson.


Moralité : venez vite profiter de Napurak tant qu’il est encore temps (cf mon post précédent). D’autant plus que les Achuar, au lieu de se préoccuper de leur avenir, passent leur journée à lire des BDs : 


Achuar de Napurak en train de lire Anent. Nouvelles des Indiens Jivaros










Au centre, avec les dents d’ocelot au cou, Pandeï le frère de Yuri, en train de déchiffrer le passage le concernant. Dans les bras de sa femme on aperçoit son dernier fils. J’ai découvert par hasard, après plusieurs jours sur place, qu’ils l’avaient appelé Sandro. Ça m’a un peu ému. 





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