Je suis à Cuba (à Cienfuegos)
avec quasiment pas d’internet, pas de scanner et aucun moyen de poster des
dessins (que je n’ai de toutes façons pas faits) ; j’essaie donc un post
écrit.
J’avais arrêté la pêche depuis un
moment et n’avais aucune intention – avouée – de m’y remettre, mais avant de
partir j’ai fait l’erreur de passer saluer mon ancien maître dans son magasin.
- Cuba ? Un super spot pour
le barracuda.
- Ah bon ?
- Et Cienfuegos c’est le top, tu
peux les cartonner au leurre de surface, dans les mangroves.
- Ah bon ?
Je suis reparti avec une canne et
5 kilos de leurres de surface.
Il s’agit maintenant de les
essayer. Chloé – ma copine – est rentrée quelques jours à La Havane accueillir
une amie et écouter le concert des Rolling stones. J’en ai donc profité pour demander
à un chauffeur de taxi de m’indiquer un lieu propice à la pêche. Il m’a déposé
au phare, à une vingtaine de kilomètres de la ville et m’a promis de venir m’y
chercher vers 8h, à la tombée de la nuit.
Le lieu est le territoire à peu
près exclusif des crabes de mangrove. Ils sont en quantité absurde, presque
surnaturelle. La route elle-même semble onduler sous leur danse mécanique,
hérissée de pinces. Quand d’aventure un camion passe, il en écrase par
centaine. Parfois il en coupe un par le milieu, laissant une pince solitaire
télégraphier des messages de détresse tardifs à ses congénères qui n’en ont
cure et qui se précipitent en masse hors de la mangrove pour boire à même le
bitume brûlant le jus des carcasses fraichement broyées. Le camion suivant les écrase,
épaississant un peu plus la croute momifiée qui surélève la chaussée, et
attirant par la même d’autres crabes, dans une sorte de mouvement perpétuel qui
ne semble pouvoir se terminer que par la fin des crabes. Sauf que cela est
impossible. Une discothèque solitaire observe la scène depuis une petite
colline en face du phare. Les murs roses et blancs, les petites colonnes du
balcon, sont couverts de crabes comme une charogne de mouches. Ils en escaladent
sans difficulté les parois pour se blottir par dizaine à l’ombre du moindre
relief architectural.
Quant à la pêche, je n’ai bien
sûr pas vu le moindre barracuda. Un tour sous l’eau m’a confirmé que les poissons
habitant la zone font au mieux la taille de mes leurres, généralement moins.
Et bien sûr le taxi n’est pas
venu.
J’ai rejoint à pied la petite
station balnéaire de Rancho Luna à trois kilomètres, presque à tâtons et la
démarche alourdie par les crabes qui se saisissaient de mes lacets au passage.
Elle était déserte. Un ivrogne me fit promettre de venir un jour goûter dans
son restaurant sa spécialité de crabe, en échange de quoi il me montra où
s’arrêtait la « guagua de los trabajadores », le bus qui vers 9h et
demi viendrait ramasser le personnel de la station balnéaire et, après quelques
détours, me ramènerait à Cienfuegos.
Une dame sortie de la nuit me dit
que, la journée, elle propose des massages aux touristes, me demande si ça
m’intéresse et m’explique que le bus va d’abord passer dans la direction opposé
déposer des gens dans une bourgade au bout de la route. Elle me conseille de
monter dedans dès ce premier passage pour être sûr de pouvoir entrer. Peu de
temps après passe semi-remorque poussif perché sur deux rangées de roues de
tracteur. Hormis une pensée pour les crabes, je n’y prête pas attention. Le
camion ralenti, la masseuse m’appelle : c’est le bus. Une porte taillée
sur le flanc s’ouvre et laisse apparaître des ventres, des cuisses et des bras
comprimés. La masseuse pousse cette entité avec le dos pour me permettre de
monter. La porte ne ferme plus ? J’ai qu’à la tenir.
Le visage écrasé contre le métal
vibrant de la remorque, j’ai l’impression d’être le héros d’un de ces mauvais
films mexicains où un bourgeois se retrouve à devoir partager pendant quelques
jours la vie des pauvres. J’en retire d’ailleurs le même cliché : que ces
pauvres sont joyeux, comme ils rigolent plus que les touristes sur la plage.
Arrivé aux trois maisons qui séparent la fin de la route de la lagune, l’assistant
du chauffeur annonce qu’ils vont manger un morceau et qu’on peut boire un coup
pour patienter. Il donne la main au gens pour les aider à descendre, la plupart
lui font la bise et échangent des blagues que je ne comprends pas. J’en profite
pour payer le trajet : 1 peso cubano. Pour venir à la plage, le touriste
paie en taxi 10 pesos convertibles, soit 250 fois plus. Pensée stérile, mais
tout de même.
J'ai rejoint ma chambre à minuit.
Demain, si tout se passe bien, je vais assister à une séance de transe
collective sous un fromager, dans une plantation de manguiers et de cannes à
sucre, avec des adeptes du Palo Monte, le culte initiatique afro-cubain sur
lequel je ferai peut-être un reportage BD.
Oui un reportage sur le Palo Monte. Le woodstar le demande ! Merci. Laurent.
RépondreSupprimerC'est chouette l'apparition de textes tous nus.
RépondreSupprimerFais-nous profiter, ça nous fait rager et on te déteste de loin mais on t'aime quand même.
Sache qu'ici il n'y a pas de crabes par milliers sur les routes mais que jeudi de jeunes étudiantes sortiront dans la rue par centaines pour agiter leur indignation et leurs pancartes. Je dis ça je dis rien. Bisous
Bravo pour la description de tes aventures, continue, on en redemande!
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