jeudi 29 décembre 2016
jeudi 1 décembre 2016
jeudi 24 novembre 2016
mercredi 16 novembre 2016
mardi 1 novembre 2016
mercredi 26 octobre 2016
Petit traité d'écologie profonde.
On voyage « pour que la route vous plume, vous rince,
vous essore, vous rende comme ces serviettes élimées par les lessives qu’on
vous tend avec un éclat de savon dans les bordels. »
Nicolas Bouvier, Le Poisson scorpion.
« Le voyage offre la métamorphose. Sur la route, on
mue ».
Sylvain Tesson, Géographie
de l’instant.
Autant dire que ce voyage ne m’a ni lessivé, ni
métamorphosé. C’est la première fois que je rentre avec la désagréable
impression d’être exactement identique à ce que j’étais avant de partir.
Du coup je reviens sans idée pour donner un second souffle à
ce blog et sans ligne pour ma prochaine BD. Je saute d’un projet à l’autre,
sans avancer sur aucun – une adaptation de Giono, une fiction chez les Jivaros,
un mélange des deux… Pour une nouvelle BD documentaire sur les Achuar, j’ai
besoin d’au moins un voyage supplémentaire (prévu en juin prochain, entre
autres pour accompagner des touristes).
Heureusement Steinkis va éditer en mars prochain un recueil de mes publications de blog. Ça
s’appellera peut-être « Petit traité d’écologie profonde ». Voici mes
premières propositions de couverture :
Mais Steinkis ne voulait pas de bulles. Ils m’ont par
ailleurs fait remarquer que la seconde risquait de vieillir rapidement. J’ai
donc suivi leur suggestion (venant de Wandrille) :
Et
sinon, c’est sans rapport mais je viens de publier sur Reporterre.net
un article (illustré) sur les Jivaros et la valeur de la nature.
mercredi 28 septembre 2016
vendredi 9 septembre 2016
Máaniamu
Après son passage au café de la
gare de Bois-le-roi (voir le dernier post à ce sujet), Proust a traversé la Russie à
pied ; il s’est nourri principalement de lichens et a affronté des ours.
Il a franchi le détroit de Béring sur une pirogue de sa fabrication et a
bivouaqué dans une carcasse de phoque. En Alaska, l’esprit aiguisé par le jeûne
et l’effort physique, il a appris le langage des animaux. Une tempête de neige
l’a obligé à se réfugier dans une grotte où un grizzli lui a offert un reste de
cervidé et son flanc duveteux comme couche. Il n’attendait pas grand-chose des
Etats-Unis, mais a reconnu plus tard que le grand-canyon lui avait « foutu
les poils ». En Amérique centrale, le climat et l’abondance de fruits
tropicaux ont adouci son humeur et il s’est autorisé la visite de quelques
temples Mayas. En Colombie, il a travaillé dans un laboratoire clandestin pour gagner
de quoi s’acheter des jumelles et commencer à faire de l’ornithologie. Il a
passé la frontière équatorienne en radeau et, après un dernier bivouac sur une
île sableuse du rio Pastaza, il est arrivé un matin dans la communauté Achuar
de Napurak, but de son voyage.
jeudi 25 août 2016
Tourisme à Napurak 2
Aussi convaincu qu’on ait pu être
par les qualités d’un endroit, le moment de la validation par des inconnus rend
incertain. Et si Napurak ne plaisait qu’à moi ? La veille du départ chez
les Achuar avec quatre touristes je ne faisais pas le fier, et je n’aurais pas
été exagérément surpris qu’ils repartent dès le lendemain en m’assurant que
l’exploitation pétrolière a parfois du bon (voir mon post sur le projet de tourisme à Napurak). Mais ils ont été
émerveillés au-delà de ce que j’espérais.
Il faut dire que les Achuar ont
été plus attentionnés que des nourrices italiennes. Ils se battaient presque
pour satisfaire nos désirs, même les plus futiles, et tous les plats qu’ils
nous ont servis étaient assaisonnés de coriandre ou de basilic, même les
brochettes de puntish.
Ils avaient par ailleurs réalisé
quelques travaux, notamment construit des toilettes. Pas à l’endroit que je
leur avais suggéré mais, comme ils avaient cru comprendre que les touristes appréciaient
la vue sur le fleuve, au sommet de la plus jolie falaise de la communauté.
Devant, ils avaient abattu les arbres sur près d’une centaine de mètres, pour
que la vue soit vraiment imprenable.
Ils avaient également construit
des marches en bois pour descendre au ruisseau – ce qui évite les glissades
dans la boue en revenant de la toilette - ainsi qu’une plateforme sous la
cascade, qu’eux-mêmes se sont surpris à utiliser avec plaisir.
L’activité pêche au poison
végétal et à la machette avec toute la communauté a été très appréciée, même
s’il a été compliqué d’expliquer aux enfants qu’il fallait laisser les
touristes attraper quelques poissons.
La photo de gauche est de Pierre Ferron. |
Une fois trois des quatre
visiteurs partis (la quatrième, une personne venue de France tout exprès pour
connaître Napurak, est restée deux semaines), les Achuar ont repris leurs
activités. Parfois, quand la chaleur était forte, nous nous faufilions entre
les pieds de manioc rejoindre une femme et ses filles dans leur jardin pour y
chercher un peu de fraîcheur. Une fraîcheur bien psychologique, car l’ombre y
est clairsemée, mais le vert des feuilles de manioc traversées de soleil est si
tendre, le gris bleuté de l’entrelacs cannelé de leurs branchages si aquatique,
qu’on aurait presque envie d’enfiler une petite laine en y pénétrant. Le
mouvement liquide des ombres jouant sur les visages, la densité de l’air, le
chant de l’oropendola dont les notes ruissellent comme celles d’un carillon en
bambou, donnent l’impression d’être en présence d’un groupe de petites tsunki –
les naïades achuar – immergés sous une cascade claire, pris dans la danse des
bulles d’air et des alevins. Parfois, elles nous ont parlé (presque)
spontanément des anent qu’elles connaissaient – mais elles avaient toujours un
peu trop mal à la gorge pour en chanter un – et de leur relation avec le boa Wapau, avatar de Nunkui – mais quand on demandait à le voir, il avait toujours
quitté le jardin la veille.
Notre activité dans les jardins
consistait principalement à désherber à la machette et à brûler les mauvaises
herbes ; les Achuar apprécient en effet l’image d’une terre à nu entre les
plantes cultivées. Ce souci est purement esthétique, les jardins achuar n’étant
pas plus productifs que ceux des ethnies avoisinantes qui laissent les plantes adventices
les envahir. Peut-être ce goût découle-t-il aussi de leur cosmogonie : il
s’agit de remplacer entièrement l’œuvre de Shakaïm, l’esprit qui cultive la
forêt comme son jardin, par celle de Nunkui, déesse tutélaire des plantes
cultivées. L’espace masculin de la forêt devient ainsi un jardin purement
féminin. Cette explication a toutefois ses limites car, depuis que leur habitat
est regroupé, les Achuar ont transféré ce goût pour la terre à nu vers d’autres
zones de la communauté, qu’ils passent un temps fou à « nettoyer »,
les hommes comme les femmes. Je leur ai expliqué de nombreuses fois que les
touristes trouvent plus d’agrément dans une végétation tropicale luxuriante que
dans une terre pelée brûlée par le soleil, mais ils n’ont pas pu croire à une
telle énormité. Parfois, lorsqu’ils s’apprêtaient à nettoyer une parcelle de
terrain, je leur désignais quelques fleurs aux couleurs éclatantes et visitées
par les colibris en leur assurant qu’aux yeux d’un touriste, elles étaient
vraiment belles. Dubitatifs, ils acceptaient tout de même de les épargner, mais
lorsqu’elles se retrouvaient seules, sans leur écrin végétal, elles perdaient
beaucoup de leur charme.
Nous avons consacré une matinée à
aménager le « jardins des gringos », autour de notre cabane. Chacun
est venu avec des graines et quelques plantounes à transplanter – papayer,
bananier, caïmitier, canne à sucre, tabac, datura, fruits et fleurs aux noms
musicaux de yurangmis, maïkiua, cucuch.
Une fois les plantations et les
boutures terminées, tous les membres de la communauté ont pris un long moment
pour nettoyer la terre. Cette nuit-là, une petite mygale est venue creuser son
terrier le long de l’un des piliers de la cabane ; nous lui avons par la
suite donné chaque soir un grillon, pour que l’endroit lui plaise et qu’elle
décide d’y rester. Un singe nocturne dort dans l’un des arbres qui ombrage le
jardin. À lui nous avons proposé des bananes, mais qui ont pour l’instant été snobées.
Je n’y retourne qu’en juin
prochain, mais n’hésitez pas à y aller sans moi d’ici là pour entretenir le
jardin. L’un des visiteurs de cette année – Pierre Ferron – est guide professionnel et vit en Equateur. Vous
pouvez le contacter pour qu’il vous accompagne.
J’ai par ailleurs commencé à
discuter avec les membres des communautés voisines pour voir comment les
impliquer dans ce projet de tourisme, des fois qu’il fonctionne. La communauté
de Shuinmamu dispose par exemple de trois lagunes peuplées de caïmans et
d’hoatzins, que nous pourrions visiter en pirogue à rame moyennant un droit
d’entrée. Tout ça n’empêchera pas les pétroliers d’entrer, mais bon, il faut
bien se donner l’illusion de faire quelque chose.
Quelques autres photos :
mercredi 3 août 2016
Tumaco
Après l’émission, heureusement
courte, je file au centre de santé le plus proche. Une doctoresse regarde mon nez et déclare que cette
croutinette lui paraît bien inoffensive pour être de la leishmaniose, tout en
reconnaissant ne pas y connaître grand-chose car « la leishmaniose est une
maladie tropicale ». Le centre de Quito a été construit en copiant avec
tant d’application les grandes villes américaines que ses habitants ont réussi
à se convaincre que les tropiques et toutes les saletés qui y grouillent se
trouvaient bien loin de chez eux. Si je tiens à être rassuré, je peux toujours
aller faire des analyses à l’hôpital, me dit-elle.
Après quelques heures d’attente,
un médecin me reçoit et m’explique qu’ils ne sont pas habilités à faire ce genre
d’analyse car ils n’ont pas de service des maladies tropicales. Ils ne voient
pas trop où on pourrait m’aider, peut-être au centre de dermatologie.
La doctoresse qui m’accueille
m’annonce qu’on m’a mal informé : c’est bien l’hôpital qui doit faire ces analyses ;
elle me conseille d’y retourner et, s’ils refusent à nouveau, de demander une
lettre officielle de justification – mais, soit dit en passant, cette petite
croute n’a pas l’air bien méchante.
Le soir étant venu, je rentre
plutôt à la maison et appelle au secours un ami français sur qui il faudra un
jour que je fasse un post. Il m’obtient dès le lendemain matin un rendez-vous à
la faculté de médecine avec le spécialiste national de la leishmaniose.
Celui-ci m’ausculte attentivement et diagnostique avec un sourire chaleureux un
début probable de leishmaniose, puis fait les prélèvements nécessaires aux
examens. Heureusement, il m’apprend aussi qu’il existe un traitement sans
métaux lourds, la « miltéfosine »… mais pas en Equateur. On doit
pouvoir le trouver en Colombie, car les militaires, rongés de leishmaniose, en
font grand usage ; mais même là-bas, il est très contrôlé et difficile à
obtenir car convoité aussi par les FARCs. Et en France ? Peut-être… mais
aux dernière nouvelles le laboratoire qui synthétise la molécule se faisait plaisir
et la boîte de miltéfosine coutait 3000 euros. Sinon, parfois, la leishmaniose
peut se soigner seulement avec de la chaleur, en remplissant un gant mapa d’eau
brûlante et en l’appliquant sur la plaie, tant que c’est supportable. Je dois
cependant attendre les résultats, car si l’infection est bactérienne la chaleur
risque d’empirer les choses.
Le lendemain, les résultats sont
négatifs et la lésion semble s’être légèrement résorbée. Léger, je reprends là
où je l’avais laissée l’organisation de mon prochain voyage chez les Achuar.
Pour ne pas attirer le mauvais œil, je ne pousse pas les préparatifs trop loin et
me contente d’acheter des fruits secs au supermarché. Précaution visiblement
insuffisante, car le jour suivant la lésion s’est ouverte et creusée. Je
rappelle le spécialiste qui ne peut pas me recevoir avant quatre jours.
Journées pénibles, que je passe à
contempler l’évolution de ma plaie devant la glace et à essayer de dessiner des
oiseaux qui, du coup, ont tous l’air un peu angoissé. Une buse des Galapagos,
que je n’ai jamais vue mais qu’on m’a commandée, et un toucanet à croupion
rouge, qui vient de Milpe comme ma leishmaniose :
J’ai même dessiné des
tourterelles oreillardes dans un parc de Quito… on s’occupe l’esprit comme on
peut :
Je revois le spécialiste, qui
refait des analyses, qui cette fois sont positives. Au moins, je peux agir ;
je commence par le gant mapa plein d’eau brûlante…
… puis je bombarde de mails les
centres de recherche colombiens pour essayer de trouver le traitement. Une
gentille doctoresse de Cali me répond que la miltéfosine est presque
introuvable en ce moment, mais qu’il lui en reste quelques boîtes dans son
laboratoire de Tumaco, une ville côtière proche de la frontière équatorienne,
où elle se rend justement l’après-midi même. Je saute dans un bus et après 24
heures, quelques changements et une nuit à la frontière, j’arrive à Tumaco.
Donc, si vous attrapez la
leishmaniose, vous saurez qu’il faut faire plusieurs applications par jours pendant
un mois avec une eau modérément chaude, et non essayer de la brûler en une
fois ; ou alors il faut y aller franchement, avec une pointe de machette
chauffée dans les braises ou de l’acide de batterie.
La doctoresse fait de nouveaux
prélèvements pour ses recherches et me donne ma boîte de miltéfosine. Le soir,
pour la remercier d’avoir sauvé mon nez, je l’invite à manger des langoustines
au lait de coco sur la plage. Elle m’explique que le traitement est aussi rare
car la leishmaniose est une maladie de pauvres peu rentable ; il y a tout
un stock de miltéfosine en ce moment au ministère de la santé, mais bloqué par
l’organisme qui règlemente la distribution des médicaments, car celui-ci est
lié au laboratoire qui synthétise la molécule. L’objectif est de créer le
manque avant de ressortir le médicament sous un autre nom et dix fois plus cher,
comme il l’ont fait récemment avec le traitement contre la toxoplasmose, tout
en s’opposant à la distribution par les centres de recherche, etc., etc. Ces
pratiques sont bien connues, mais quand on a failli y perdre son nez ça rend la
chose très réelle.
Me voici donc parti pour un mois
d’un traitement lourd, pendant lequel je ne peux pas boire une goutte d’alcool.
Je ne pourrai donc pas toucher à la bière de manioc chez les Achuar, ce qui
risque de leur fendre le cœur, mais bon, c’est un moindre mal.
Inscription à :
Articles (Atom)