mercredi 3 août 2016

Tumaco

Emission France inter sur Anent. Nouvelles des Indiens Jivaros

Leishmaniose et traitement aux métaux lourds



Après l’émission, heureusement courte, je file au centre de santé le plus proche. Une doctoresse regarde mon nez et déclare que cette croutinette lui paraît bien inoffensive pour être de la leishmaniose, tout en reconnaissant ne pas y connaître grand-chose car « la leishmaniose est une maladie tropicale ». Le centre de Quito a été construit en copiant avec tant d’application les grandes villes américaines que ses habitants ont réussi à se convaincre que les tropiques et toutes les saletés qui y grouillent se trouvaient bien loin de chez eux. Si je tiens à être rassuré, je peux toujours aller faire des analyses à l’hôpital, me dit-elle.

Après quelques heures d’attente, un médecin me reçoit et m’explique qu’ils ne sont pas habilités à faire ce genre d’analyse car ils n’ont pas de service des maladies tropicales. Ils ne voient pas trop où on pourrait m’aider, peut-être au centre de dermatologie.

La doctoresse qui m’accueille m’annonce qu’on m’a mal informé : c’est bien l’hôpital qui doit faire ces analyses ; elle me conseille d’y retourner et, s’ils refusent à nouveau, de demander une lettre officielle de justification – mais, soit dit en passant, cette petite croute n’a pas l’air bien méchante.

Le soir étant venu, je rentre plutôt à la maison et appelle au secours un ami français sur qui il faudra un jour que je fasse un post. Il m’obtient dès le lendemain matin un rendez-vous à la faculté de médecine avec le spécialiste national de la leishmaniose. Celui-ci m’ausculte attentivement et diagnostique avec un sourire chaleureux un début probable de leishmaniose, puis fait les prélèvements nécessaires aux examens. Heureusement, il m’apprend aussi qu’il existe un traitement sans métaux lourds, la « miltéfosine »… mais pas en Equateur. On doit pouvoir le trouver en Colombie, car les militaires, rongés de leishmaniose, en font grand usage ; mais même là-bas, il est très contrôlé et difficile à obtenir car convoité aussi par les FARCs. Et en France ? Peut-être… mais aux dernière nouvelles le laboratoire qui synthétise la molécule se faisait plaisir et la boîte de miltéfosine coutait 3000 euros. Sinon, parfois, la leishmaniose peut se soigner seulement avec de la chaleur, en remplissant un gant mapa d’eau brûlante et en l’appliquant sur la plaie, tant que c’est supportable. Je dois cependant attendre les résultats, car si l’infection est bactérienne la chaleur risque d’empirer les choses.

Le lendemain, les résultats sont négatifs et la lésion semble s’être légèrement résorbée. Léger, je reprends là où je l’avais laissée l’organisation de mon prochain voyage chez les Achuar. Pour ne pas attirer le mauvais œil, je ne pousse pas les préparatifs trop loin et me contente d’acheter des fruits secs au supermarché. Précaution visiblement insuffisante, car le jour suivant la lésion s’est ouverte et creusée. Je rappelle le spécialiste qui ne peut pas me recevoir avant quatre jours.

Journées pénibles, que je passe à contempler l’évolution de ma plaie devant la glace et à essayer de dessiner des oiseaux qui, du coup, ont tous l’air un peu angoissé. Une buse des Galapagos, que je n’ai jamais vue mais qu’on m’a commandée, et un toucanet à croupion rouge, qui vient de Milpe comme ma leishmaniose :


Buse des galapagos et toucanet à croupion rouge, aquarelle

toucanet à croupion rouge, aquarelle

toucanet à croupion rouge, aquarelle

crimson rumped toucanet, watercolor




J’ai même dessiné des tourterelles oreillardes dans un parc de Quito… on s’occupe l’esprit comme on peut :


Tourterelle oreillarde, Quito, encre



Je revois le spécialiste, qui refait des analyses, qui cette fois sont positives. Au moins, je peux agir ; je commence par le gant mapa plein d’eau brûlante…


Leishmaniose, thermothérapie



… puis je bombarde de mails les centres de recherche colombiens pour essayer de trouver le traitement. Une gentille doctoresse de Cali me répond que la miltéfosine est presque introuvable en ce moment, mais qu’il lui en reste quelques boîtes dans son laboratoire de Tumaco, une ville côtière proche de la frontière équatorienne, où elle se rend justement l’après-midi même. Je saute dans un bus et après 24 heures, quelques changements et une nuit à la frontière, j’arrive à Tumaco.


trop de thermothérapie, leishmaniose




Donc, si vous attrapez la leishmaniose, vous saurez qu’il faut faire plusieurs applications par jours pendant un mois avec une eau modérément chaude, et non essayer de la brûler en une fois ; ou alors il faut y aller franchement, avec une pointe de machette chauffée dans les braises ou de l’acide de batterie.

La doctoresse fait de nouveaux prélèvements pour ses recherches et me donne ma boîte de miltéfosine. Le soir, pour la remercier d’avoir sauvé mon nez, je l’invite à manger des langoustines au lait de coco sur la plage. Elle m’explique que le traitement est aussi rare car la leishmaniose est une maladie de pauvres peu rentable ; il y a tout un stock de miltéfosine en ce moment au ministère de la santé, mais bloqué par l’organisme qui règlemente la distribution des médicaments, car celui-ci est lié au laboratoire qui synthétise la molécule. L’objectif est de créer le manque avant de ressortir le médicament sous un autre nom et dix fois plus cher, comme il l’ont fait récemment avec le traitement contre la toxoplasmose, tout en s’opposant à la distribution par les centres de recherche, etc., etc. Ces pratiques sont bien connues, mais quand on a failli y perdre son nez ça rend la chose très réelle.


Me voici donc parti pour un mois d’un traitement lourd, pendant lequel je ne peux pas boire une goutte d’alcool. Je ne pourrai donc pas toucher à la bière de manioc chez les Achuar, ce qui risque de leur fendre le cœur, mais bon, c’est un moindre mal.


4 commentaires:

  1. Bon courage pour ton nez et pour la suite du voyage! Merci pour ces nouvelles dépaysantes (ça me ramène 20 ans en arrière des histoires de bouton sur le nez et Forza Juve). Jo

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Jocelyn. La juve n'est plus que l'ombre d'elle même et j'ai presque réussi à me soigner. De mon nez aussi. La plaie est refermée et je n'ai plus que quelques jours de miltéfosine.
      à bientôt

      Supprimer
  2. Oui, et en plus, pour éviter les ennuis, il faut avoir du pif ...
    Le toucanet de la second photo a l'air majestueux.

    RépondreSupprimer