Aussi convaincu qu’on ait pu être
par les qualités d’un endroit, le moment de la validation par des inconnus rend
incertain. Et si Napurak ne plaisait qu’à moi ? La veille du départ chez
les Achuar avec quatre touristes je ne faisais pas le fier, et je n’aurais pas
été exagérément surpris qu’ils repartent dès le lendemain en m’assurant que
l’exploitation pétrolière a parfois du bon (voir mon post sur le projet de tourisme à Napurak). Mais ils ont été
émerveillés au-delà de ce que j’espérais.
Il faut dire que les Achuar ont
été plus attentionnés que des nourrices italiennes. Ils se battaient presque
pour satisfaire nos désirs, même les plus futiles, et tous les plats qu’ils
nous ont servis étaient assaisonnés de coriandre ou de basilic, même les
brochettes de puntish.
Ils avaient par ailleurs réalisé
quelques travaux, notamment construit des toilettes. Pas à l’endroit que je
leur avais suggéré mais, comme ils avaient cru comprendre que les touristes appréciaient
la vue sur le fleuve, au sommet de la plus jolie falaise de la communauté.
Devant, ils avaient abattu les arbres sur près d’une centaine de mètres, pour
que la vue soit vraiment imprenable.
Ils avaient également construit
des marches en bois pour descendre au ruisseau – ce qui évite les glissades
dans la boue en revenant de la toilette - ainsi qu’une plateforme sous la
cascade, qu’eux-mêmes se sont surpris à utiliser avec plaisir.
L’activité pêche au poison
végétal et à la machette avec toute la communauté a été très appréciée, même
s’il a été compliqué d’expliquer aux enfants qu’il fallait laisser les
touristes attraper quelques poissons.
La photo de gauche est de Pierre Ferron. |
Une fois trois des quatre
visiteurs partis (la quatrième, une personne venue de France tout exprès pour
connaître Napurak, est restée deux semaines), les Achuar ont repris leurs
activités. Parfois, quand la chaleur était forte, nous nous faufilions entre
les pieds de manioc rejoindre une femme et ses filles dans leur jardin pour y
chercher un peu de fraîcheur. Une fraîcheur bien psychologique, car l’ombre y
est clairsemée, mais le vert des feuilles de manioc traversées de soleil est si
tendre, le gris bleuté de l’entrelacs cannelé de leurs branchages si aquatique,
qu’on aurait presque envie d’enfiler une petite laine en y pénétrant. Le
mouvement liquide des ombres jouant sur les visages, la densité de l’air, le
chant de l’oropendola dont les notes ruissellent comme celles d’un carillon en
bambou, donnent l’impression d’être en présence d’un groupe de petites tsunki –
les naïades achuar – immergés sous une cascade claire, pris dans la danse des
bulles d’air et des alevins. Parfois, elles nous ont parlé (presque)
spontanément des anent qu’elles connaissaient – mais elles avaient toujours un
peu trop mal à la gorge pour en chanter un – et de leur relation avec le boa Wapau, avatar de Nunkui – mais quand on demandait à le voir, il avait toujours
quitté le jardin la veille.
Notre activité dans les jardins
consistait principalement à désherber à la machette et à brûler les mauvaises
herbes ; les Achuar apprécient en effet l’image d’une terre à nu entre les
plantes cultivées. Ce souci est purement esthétique, les jardins achuar n’étant
pas plus productifs que ceux des ethnies avoisinantes qui laissent les plantes adventices
les envahir. Peut-être ce goût découle-t-il aussi de leur cosmogonie : il
s’agit de remplacer entièrement l’œuvre de Shakaïm, l’esprit qui cultive la
forêt comme son jardin, par celle de Nunkui, déesse tutélaire des plantes
cultivées. L’espace masculin de la forêt devient ainsi un jardin purement
féminin. Cette explication a toutefois ses limites car, depuis que leur habitat
est regroupé, les Achuar ont transféré ce goût pour la terre à nu vers d’autres
zones de la communauté, qu’ils passent un temps fou à « nettoyer »,
les hommes comme les femmes. Je leur ai expliqué de nombreuses fois que les
touristes trouvent plus d’agrément dans une végétation tropicale luxuriante que
dans une terre pelée brûlée par le soleil, mais ils n’ont pas pu croire à une
telle énormité. Parfois, lorsqu’ils s’apprêtaient à nettoyer une parcelle de
terrain, je leur désignais quelques fleurs aux couleurs éclatantes et visitées
par les colibris en leur assurant qu’aux yeux d’un touriste, elles étaient
vraiment belles. Dubitatifs, ils acceptaient tout de même de les épargner, mais
lorsqu’elles se retrouvaient seules, sans leur écrin végétal, elles perdaient
beaucoup de leur charme.
Nous avons consacré une matinée à
aménager le « jardins des gringos », autour de notre cabane. Chacun
est venu avec des graines et quelques plantounes à transplanter – papayer,
bananier, caïmitier, canne à sucre, tabac, datura, fruits et fleurs aux noms
musicaux de yurangmis, maïkiua, cucuch.
Une fois les plantations et les
boutures terminées, tous les membres de la communauté ont pris un long moment
pour nettoyer la terre. Cette nuit-là, une petite mygale est venue creuser son
terrier le long de l’un des piliers de la cabane ; nous lui avons par la
suite donné chaque soir un grillon, pour que l’endroit lui plaise et qu’elle
décide d’y rester. Un singe nocturne dort dans l’un des arbres qui ombrage le
jardin. À lui nous avons proposé des bananes, mais qui ont pour l’instant été snobées.
Je n’y retourne qu’en juin
prochain, mais n’hésitez pas à y aller sans moi d’ici là pour entretenir le
jardin. L’un des visiteurs de cette année – Pierre Ferron – est guide professionnel et vit en Equateur. Vous
pouvez le contacter pour qu’il vous accompagne.
J’ai par ailleurs commencé à
discuter avec les membres des communautés voisines pour voir comment les
impliquer dans ce projet de tourisme, des fois qu’il fonctionne. La communauté
de Shuinmamu dispose par exemple de trois lagunes peuplées de caïmans et
d’hoatzins, que nous pourrions visiter en pirogue à rame moyennant un droit
d’entrée. Tout ça n’empêchera pas les pétroliers d’entrer, mais bon, il faut
bien se donner l’illusion de faire quelque chose.
Quelques autres photos :