mercredi 27 avril 2016

Baracoa

Nous sommes à Baracoa depuis une dizaine de jours et nous commençons à nous y sentir chez nous. Dans un tour de Cuba, Baracoa – à l’extrémité est de l’île - marque la pointe d’un tournant en épingle à cheveux. C’est ici que j’avais prévu de me mettre sérieusement à dessiner. La petite ville s’y prête : ce ne sont que balconnets colorés croulant sous les bougainvilliers, enfants qui jouent au foot au soleil couchant et voitures de collection qui perdent leurs roues pendant que les doublent des charrettes joliment décorées. Où que l’on se tourne, on a l’impression de voir une couverture potentielle pour le guide du routard.

La promenade du bord de mer, qui relève quasiment du bidonville, offre des vues plus originales. Entre les parpaings, les bâches et les charrettes qui vendent des légumes, émergent ça et là des restaurants à touristes, mais avec un évident manque de conviction car ici, une fois l’an, les cyclones effacent tout et on recommence. La certitude d’être éphémères permet à ces constructions de s’offrir quelques excentricités, appuyer leur terrasse sur le tronc des palmiers, par exemple.

Je pourrais m’assoir n’importe où et produire une aquarelle médiocre de carnet de voyage typique. Lors de mon année sabbatique en Bolivie, il y a plus de dix ans, c’est ce que je faisais. Je peignais debout dans les marchés, bousculé par les porteurs, ou assis dans la rue, entouré par une foule agitée d’enfants qui collaient leurs doigts enduits de banane sur mes pages, croyant reconnaître dans mes perspectives un jaguar ou le portrait de leur grand-père. D’où me venait cette énergie ?

Hier après-midi je voulais essayer de dessiner mais je suis finalement allé à la pêche. Sur mon vélo, avec l’étui de ma canne en bandoulière, j’ai eu l’agréable impression d’habiter ici et de faire ma petite sortie du soir, comme si j’allais jeter ma ligne à l’écluse de Bois-le-roi pour me détendre (sauf qu’à Bois-le-roi il m’arrivait de temps à autre d’attraper un poisson). J’ai emprunté la route qui longe la plage, large, tout en dalles de béton fissurées sur lesquelles une main zélée a peint d’inutiles pointillés blancs ; il n’y passe quasiment jamais de voitures, tout au plus quelques vélos taxis. La route est bordée par deux rangées de maisonnettes fleuries où la vieille pierre, les planches peintes et les racines des arbres conspirent pour rendre l’ensemble mignon jusqu’au vertige. Des palmiers filiformes et hirsutes, qui rayent le ciel à intervalles réguliers, tentent vainement de dynamiser ce monde alangui.

Après un pont chevauchant un bras de mangrove, la route rétrécit et s’enfonce dans un bois de palétuviers, puis s’accote au minuscule aéroport que survolent principalement les engoulevents. On arrive enfin à la pointe rocheuse qui ferme la baie, occupée par un monument dédié à un héros de la guerre d’indépendance, par des bernard-l’hermite et par un vieux militaire qui m’a indiqué le spot de pêche. 

La pêche a été aussi infructueuse que d’habitude. Un vieil homme, aussi anguleux que les pinces de crabes qu’il pilait pour garnir ses hameçons, lançait quelques lignes depuis les rochers. Il n’attrapait rien non plus ; trop de pêche sous-marines, m’a-t-il expliqué.


Des pêcheurs sous-marins nous en avons rencontré deux dans un bus, qui nous ont invités à les accompagner lors d’une de leur sortie. Mon rapport à la pêche va peut-être changer grâce à eux, et mon rapport au dessin aussi, si je me motive à raconter les moments passés en leur compagnie en BD. 



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